Avant l’Action catholique : Le Sillon et la JOC

1AVANT L’ACTION CATHOLIQUE : LE SILLON ET LA JOC 

ESQUISSE DE COMPRÉHENSION D’UNE FILIATION 

Beaucoup de commentateurs et même d’historiens continuent de regarder la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) sous l’optique de son épanouissement pendant ” l’age d’or ” de l’Action catholique[1] des années 1920 et 1930.  Ceci est compréhensible en France dans le sens que la JOC était née dans ce pays au sein de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) et en 1926-1927 au plein milieu du règne de Pie XI, le pape de l’Action catholique.  Même en Belgique, pays d’origine de la JOC, les historiens jusque réçemment ont eu parfois du mal à résister à cette tendance[2], soit de ne pas aller dans leur recherche au-délà de 1924-25[3], soit de ne pas échapper à la tentation d’imposer les catégories d’Action catholique sur leur interprétation des événements antérieurs.

Or son aumônier-fondateur, Joseph Cardijn[4], a toujours insisté que pour ” FAIRE RESSORTIR LE CARACTERE PROPRE, ORIGINAL ET VRAIMENT RÉVOLUTIONNAIRE DE LA JOC, caractère essentiel qui a transformé les méthodes employées jusqu’alors, jusqu’à scandaliser les plus optimistes “[5], il faut étudier la JOC dès ses ” premiers débuts ” qu’il situait en 1912, la date de sa nomination comme vicaire à la paroisse bruxelloise de Laeken.  ” Si l’on veut faire oeuvre utile et produire un choc “, Cardijn continuait, il fallait même étudier ” la préparation de ses débuts ” car ” ce caractère propre et original ” existe ” depuis la naissance de la JOC ” – une bonne dizaine d’années avant l’avènement de Pie XI en 1922.  Ainsi, nos premières questions :  Quel est ce caractère ” propre et original ” de la JOC avant son entrée à l’Action catholique ?  D’où est-il venu ?

Cardijn ne nous a pas laissé sans indications.  Au-délà de son admiration pour Léon Harmel[6], l’industriel démocrate chrétien de Val-de-Bois, et pour les syndicats anglais, il n’y a qu’un seul mouvement pour lequel le jeune Cardijn[7] manifeste de l’enthousiasme : le Sillon de Marc Sangnier[8].  Voici peut-être le choc dont il a parlé, car en étudiant ” les premiers débuts de la JOC ” dès 1912, on constate que Cardijn n’a fait que reprendre le projet inachevé du Sillon de créer un mouvement apostolique d’éducation et d’action adapté aux besoins de jeunes travailleurs.  Et pour le faire Cardijn s’appuie quasi-intégralement sur les idées et les méthodes que le Sillon avait esquissées, expérimentées et propagées dans ses bulletins et journaux aussi bien que dans une rémarquable série de livres[9], presque oubliés aujourd’hui, de Marc Sangnier et du ” père ” Louis Cousin[10], conseiller du mouvement.  Nos objectifs dans cet article vont, donc, être de tracer les éléments de doctrine sillonniste récupérés par Cardijn, de voir comment ils étaient transmis à la JOC, et enfin d’évaluer leur portée dans la conception de l’apostolat des laïcs soutenue par Cardijn et la JOC.

Le Sillon, que Marc Sangnier voyait comme un mouvement d’apostolat organisé d’amitié et de conquête, voulait gagner les jeunes de toutes les classes sociales à ” la Cause ” de Christ et de son peuple, et d’en faire des ” apôtres ” et des ” militants ” du ” christianisme démocratique et social “, travaillant à la construction de ” la cité nouvelle “[11].  Ayant commencé dans les écoles et collèges de la bourgeoisie, le mouvement avait dû trouver une stratégie pour s’étendre aux jeunes de la classe ouvrière.  Ainsi, les sillonnistes commençaient à visiter les patronages qui s’occupaient des jeunes ouvriers afin de leur présenter leur vision et de leur offrir la possibilité de s’engager aussi à la Cause.  De cette manière, ils créaient lentement un réseau de cercles d’études – ” foyers de vie et d’action ” – où les jeunes ouvriers devenaient ” eux-mêmes leurs propres éducateurs “[12].

A travers ces expériences, et adaptant ” la méthode d’observation et d’expérimentation ” de Frédéric Le Play[13], les cercles sillonnistes perfectionnaient leur propre ” méthode ” de formation, calquée sur l’observation des faits sociaux par les jeunes ouvriers et étudiants dans leur propre vie[14].  Puisque ” l’étude devient de la conscience “, expliquait le père Cousin, qui était en quelque sorte le théoricien du mouvement, ” notre méthode d’action ” commence à partir de la   ” vie ” et du ” milieu ” de chacun.  La nature même de ces cercles d’études évoluait, donc, en direction d’une éducation plus active : au lieu toujours d’écouter, chacun devrait parler; chacun lisait et commentait les évangiles; et chacun devrait agir.  Le Sillon visait par ces techniques à former ” une élite démocratique ” au sein de la classe ouvrière ” qui n’est pas d’une autre espèce que la masse “[15].  Voilà toute une méthodologie d’éducation démocratique et apostolique que Cardijn a trouvé au Sillon, et qu’il va résumer dans une célèbre série d’aphorismes, commençant avec son ” voir, juger, agir “[16].

En effet, ce que le Sillon proposait ne se limitait pas à une méthode, mais il comportait cette conception globale de vie et d’action que nous connaissons aujourd’hui comme l’apostolat des laïcs.  Tandis que Marc Sangnier articulait cette conception dans une série de discours et d’écrits dont la simplicité pédagogique ne cache pas la profondeur, Louis Cousin essayait de donner une base théorique et théologique aux concepts sillonnistes.  Pour Cousin, cette vision d’un apostolat des laïcs comme étant ” les promoteurs du mieux-être social ” est si fondamentale qu’elle s’impose à toutes les personnes, comme elle le ferait même si ” le Christ béni n’était pas venu et n’avait pas fondé son Église “[17].  La tâche impérative du Sillon est, donc, de former les jeunes de toutes les classes sociales à comprendre et jouer ce rôle proprement laïque[18].  Et comme on apprend à savoir en étudiant, dit Cousin, on apprend à agir en agissant.  Ainsi, la nécessité de la méthode active du Sillon, et l’impossibilité de séparer arbitrairement l’éducation religieuse de l’action temporelle.

Cette notion d’apostolat laïque impliquait aussi une conception renouvelée du rôle du prêtre.  Pour Cousin et pour le Sillon, le prêtre ne prend pas la place des laïcs, ni ne les dirige – des pratiques que les sillonnistes fustigent comme des formes de ” cléricalisme “.  Son rôle est d’aider ” tout simplement des vrais laïcs à devenir capable d’un rôle essentiellement laïque “[19].  Quand le prêtre a compris ceci, aussi insiste Sangnier, ” son action sacerdotale se développe très aisément … (et) son influence religieuse peut produire d’incalculables effets de sanctification “[20].  Pour les sillonnistes, donc, la présence du prêtre au sein de leur mouvement est ” une garantie ” et ainsi une nécessité.  Cousin, va pousser ces idées même plus loin, en développant une notion du partenariat entre laïc et prêtre.  Dans une phrase, qui avec le recul du temps parait vraiment prophétique, il affirme que l’apostolat ou l’action de ces laïcs ” est certainement une collaboration à l’action du prêtre, mais une collaboration qui s’exerce sur le terrain laïque et d’une façon qui séculariserait, si l’on peut parler ainsi, l’action du prêtre lui-même “[21].

Étant donné cette compréhension de l’apostolat, il va sans dire que les sillonnistes veulent que leur mouvement reste un mouvement de l’Église[22].  Néanmoins, ils revendiquent une certaine autonomie au sein de celle-ci pour leur action et pour leur organisation.  Cette liberté et cette autonomie exigée par le Sillon, explique Cousin, découle de la nature ” essentiellement laïque ” du Sillon et du fait que sa sphère d’action est celle ” où les traditions de l’Église lui assurent une vraie liberté “[23].  Cette liberté, clarifie Cousin, ” n’est pas l’indépendance, car l’Église mère universelle, garde toujours son droit de contrôle sur la parole, sur la pensée et l’action de ses enfants, mais ce contrôle n’empêche pas l’initiative “.

Le Sillon présente donc une conception complète de l’apostolat spécifique des laïcs, de la collaboration entre laïcs et prêtres, et du rôle d’un mouvement catholique laïc autonome dans la promotion de cet apostolat.  Mais dans le contexte de l’époque, le Sillon a bien des difficultés à faire passer de telles doctrines.  En mai 1910, dans un exemple typique des difficultés des sillonistes, Henry du Roure[24] s’exaspère du fait que le Cardinal Merry del Val, Secrétaire d’État au Saint-Siège, vient de féliciter le fondateur d’une caisse d’épargne pour avoir déclaré ” que son oeuvre est une oeuvre strictement confessionnelle, soumise à la direction immédiate du Pape et des évêques.  Et cependant, ce sont de simples caisses de prêt et de crédit ! “[25]  Face à de telles attitudes, le Sillon n’a aucune possibilité de trouver une solution au vrai problème de comment trouver un mode de rattachement pour un mouvement laïc d’envergure nationale (et potentiellement internationale) à une Église organisée autour d’une structure purement diocésaine et territoriale[26].

Le Sillon, nous le savons, n’arrivera jamais à convaincre l’Église de son époque de ses méthodes et de ses conceptions de l’apostolat.  Mais ces idées vont faire fortune chez un jeune séminariste flamand qui va défendre tout ce qu’il a recueilli du Sillon jusqu’à Vatican II[27].  Joseph Cardijn, étudiant au Grand Séminaire de Malines, découvre le Sillon vers 1903 à travers ses publications[28], qui semble avoir fait un impacte considérable sur les membres majoritairement flamands d’un cercle d’études sociales auquel il participe[29].  Dès lors, Cardijn est entré en contact avec les sillonnistes du Nord de France à Roubaix et à Lille[30], et sans doute aussi avec les sillonnistes belges de Liège[31].  Le séminariste se réjouit en 1906 d’une intention apparemment exprimée par le nouvel archevêque, Monseigneur Mercier[32], de ” mettre sur pied à Malines toute l’organisation du Sillon “[33], intention jamais réalisée, semble-t-il, peut-être à cause de craintes épiscopales suscitées en France par le Sillon à cette date[34].  A l’université de Louvain en 1907, Cardijn se plaint du manque de courage des démocrates chrétiens ” qui ne sont pas conséquents dans leur vie ” et qui ” ne créent pas un mouvement comme le Sillon “[35].  Comme Sangnier et le Sillon, Cardijn a voulu dépasser les ” catholiques sociaux “, tenus pour conservateurs sinon réactionnaires, et aller plus loin que ” les démocrates chrétiens ” qui n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leurs idées[36].  Mais Cardijn ne va guère avoir l’opportunité de faire davantage pour quelques années encore, car Mgr Mercier l’envoie comme professeur du latin au Petit-Séminaire de Wavre, près de Bruxelles, où il va rester jusqu’à 1912[37].  Et si nous n’avons aucune indication contemporaine de sa réaction à la ” condamnation ” du Sillon par Pie X le 25 août 1910[38], on ne peut pas douter que Cardijn a vécu difficilement ce châtiment de son idéal.

Mais pourquoi enfin le Sillon était-il condamné[39] ?  Cette question vaut bien d’être reposée, car si les sillonnistes se soumettaient sans réserve à la décision pontificale[40], ils n’ont jamais accepté son bien-fondé, Sangnier le contestant dans la lettre même de sa réponse à Pie X[41].  Relevons ici seulement le problème des relations d’un mouvement trans-diocésain avec une hiérarchie française sans structures de coordination nationale, l’exigeance du Sillon de son autonomie d’action et d’organisation intérieure, et sa conception de la démocratie critiquée comme une réduction de la mission religieuse de l’Église à une action politique.  Mais dans sa soumission, le Sillon réussit à désarmer en quelque façon bien de ses opposants, qui sont étonnés par la loyauté des sillonnistes au pape qui a supprimé leur mouvement.  Au Saint-Siège aussi, le pape Pie X et un bon nombre de ses prélats se trouvent très émus de l’attitude de Sangnier et du Sillon[42]. Mais si leur mouvement était brisé, ses membres et ses sympathisants vivaient encore.  Ils vont chercher d’autres canaux pour continuer l’esprit et l’oeuvre du Sillon – c’est ainsi pour le jeune abbé Cardijn.

Même avant son arrivée dans sa nouvelle paroisse en avril 1912, Cardijn collaborait avec Victoire Cappe[43], la jeune syndicaliste et fondatrice des organisations féminines, elle-même formée dans les idées et les méthodes du Sillon[44], dont elle montre sa maîtrise dans son livre La Femme belge[45].  Et aussitôt arrivé à Laeken, Cardijn se liait avec le jeune Fernand Tonnet[46], nouvellement venu de Quiévrain sur la frontière franco-belge, où il a appris et expérimenté la méthodologie sillonniste avec son vicaire, l’abbé Abrassart[47].  A Laeken Cardijn et ses collaborateurs se mettent, donc, à créer des cercles d’études de jeunes ouvrières et de jeunes ouvriers, qui sont clairement calqués sur ceux du Sillon.  S’appuyant notamment sur les oeuvres de l’abbé Eugène Beaupin[48], ancien aumônier de la Jeune Garde du Sillon, et d’Edward Montier[49] des Philippins de Rouen, ami de Sangnier et collaborateur du Sillon, ils essayaient de développer ces méthodes.

Ensuite, à partir de 1915 quand il est devenu directeur des oeuvres sociales pour l’arrondissement de Bruxelles[50], Cardijn tente de traduire ces méthodes à l’échelle de la ville.  A l’instar de Sangnier et ses collaborateurs en France, Cardijn et ses partenaires fondent un journal qui s’appelle Le Démocrate, et un parti politique Le Parti populaire chrétien, qui fait scission avec le Parti catholique conservateur, dominant en Belgique depuis 1884[51].  A la fin de la guerre, reprenant le contact avec les anciens sillonnistes, ils participent à la série de Congrès démocratiques pour la Paix, organisés par Sangnier pendant les années 1920[52].

Ainsi en 1919, quand Cardijn et Fernand Tonnet redémarrent les cercles de jeunes ouvriers sous le nom de la Jeunesse syndicaliste (JS), ils continuent de puiser dans les sources sillonnistes[53].  Écrivant à Fernand Tonnet en 1920, Cardijn lui rappelle la doctrine de Marc Sangnier : Cherchons et formons, écrit-il, une cinquantaine de jeunes ouvriers ” qui soient épris de l’idéal, et qui ne reculent devant rien, et qui aillent à la conquête de toute leur âme, et qui fassent don de tout, de tout ce qu’ils ont, de tout ce qu’ils sont … Quand un mouvement mérite d’avoir ce bonheur-là, il est victorieux !  Regardez le Sillon !  Et puis le nôtre est plus vrai, il est plus ouvrier, il est plus pauvre ! “[54].  Creusant le même terreau, donc, Cardijn veut approfondir, aller plus loin, tout en corrigeant et évitant les erreurs ou les prétendues erreurs du Sillon.

Par ailleurs, loin de cacher ses emprunts du Sillon, Cardijn les affiche publiquement, mais jamais avec plus d’éclat que dans un fougueux discours d’accueil à Marc Sangnier, invité par lui à Bruxelles en février 1921[55].  Qualifiant le fondateur du Sillon de ” semeur d’idéal de vie “, Cardijn revendique explicitement la prolongation de cet idéal.  Citant la définition sillonniste de la démocratie[56], il prétend que, ” sous une autre forme, peut-être, mais avec le même esprit s’élabore et grandit cet effort collectif pour porter au maximum la conscience et la responsabilité morale, comme politique de la classe ouvrière “.  Sangnier, évidemment impressionné, est retourné ” rayonnant ” à Paris, où il a rapporté à ses collaborateurs : ” C’est extraordinaire.  C’est tout ce dont je rêvais qui est réalisé en Belgique : de jeunes travailleurs vivant leur foi sans renoncer à leur état, libres, animés d’un christianisme conquérant “[57].

En invitant Sangnier en 1921 et Edward Montier l’année suivante, Cardijn et Tonnet ont sans doute voulu resusciter l’ancien réseau d’amis du Sillon, afin de les gagner à la nouvelle cause de jeunes travailleurs et travailleuses, une stratégie qui semble bien fondée car toute cette génération des prêtres qui, comme Cardijn, ont soutenu le Sillon fût-il de loin, sont maintenant curés, directeurs des oeuvres sociales, et même vicaires-généraux[58].  Ensuite, en juillet 1924, Cardijn organise une réunion de 56 de ces prêtres et des aumôniers de la Jeunesse Syndicaliste, qui donnera un coup de fouet à l’expansion de la JS, qui va foisonner partout en Wallonie maintenant sous son nouveau nom, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne.

Mais évidemment, la JS/JOC revendiquant un tel héritage seulement dix ans après la condamnation du Sillon s’est laissée ouverte aux mêmes critiques qui ont mis fin à ce dernier.  Ces critiques n’ont pas manqué.  L’abbé Abel Brohée, fondateur de l’Association catholique de la jeunesse belge[59] (ACJB), organisation créée à l’instar de l’ACJF, a lutté inlassablement contre la Jeunesse syndicaliste, en l’accusant de  briser ” l’unité ” de l’Église aussi bien que d’être une organisation politique[60].  Il n’est pas besoin, donc, d’ajouter que les relations tendues entre la JS et l’ACJB reproduisent celles qui existaient entre le Sillon et l’ACJF jusqu’à 1910[61], et pour précisément les mêmes raisons : une conception différente d’apostolat, de méthode[62], et enfin même d’orientation politique.

Comme l’ACJF, l’ACJB se présente à l’époque comme le grand promoteur de l’Action catholique.  Or les publications de la JS ne fait guère référence à l’expression, Action catholique, jusqu’après l’élection de Pie XI en 1922.  Et pour une bonne raison, les groupements qui revendiquent cette étiquette étant dominés soit par les réactionnaires du vieux parti catholique[63], soit par les adeptes belges de Charles Maurras.  Ainsi, parallèlement au Sillon vis-à-vis de l’ACJF, la JS veut se démarquer de l’ACJB, et de l’Action catholique.  Au-délà de la question politique, il s’agit du désir de la JS de maintenir son propre caractère, son propre esprit, et de défendre son autonomie contre le monopole exigé par l’ACJB.

L’ACJB et la droite catholique ne cessent de multiplier les attaques contre la JS.  L’élection de Pie XI le 6 février 1922, qui affiche aussitôt son intention de bâtir son pontificat autour de l’Action catholique[64], semble justifier l’ACJB contre la JS.  Face à un risque très réel de se terminer comme le Sillon, Cardijn, Tonnet et la JS sont contraints de changer leur stratégie.  Se soumettant[65] à la volonté de Pie XI, ils font entrer la Jeunesse Syndicaliste dans le cadre de l’ACJB et ainsi de l’Action catholique[66].

Cependant, ils n’y entrent pas passivement.  La Jeunesse syndicaliste, sur le point de devenir la JOC, se met à appliquer sa méthode de conquête et de transformation au sein de l’Action catholique elle-même.  Elle revendique son autonomie au sein de l’ACJB.  Elle affirme son intention d’organiser la JOC sur une base d’intérêt de classe.  Rien d’étonnant, donc, que les critiques contre la JOC ne se relâchent pas.  Jusqu’à la fin de 1924, le Cardinal Mercier,  maintient sa confiance à Cardijn et laisse faire la nouvelle JOC.  Enfin, face aux arguments de l’ACJB, il se sent obligé de terminer l’expérience.

Cardijn a une dernière carte à jouer : Rome.  Comme son némesis, l’abbé Brohée, vient de le faire en août 1924[67], Cardijn veut faire une visite au pape.  Ayant obtenu des lettres d’introduction du nonce et de Mercier, Cardijn réussit à obtenir une audience personnelle avec Pie XI à la fin de mars 1925[68].  C’est pendant cette visite devenue légendaire que Cardijn dit à Pie XI : ” Je veux mourir pour sauver la masse ouvrière ! “.  Et le pape le bénit, en disant[69] : ” Oui, vous devez avoir cette sainte ambition d’organiser, non seulement une élite, mais la masse de la classe ouvrière “[70].

Néanmoins, cette bénédiction pontificale ne suffit pas à faire se taire les critiques de Cardijn et la JOC – après tout le Sillon lui-même a joui de plusieures audiences et de louanges pontificales avant d’être condamné.  Le cardinal Mercier n’arrive jamais à donner son approbation[71].  Ce n’est que l’année suivante, après la mort du cardinal, que les évêques belges donnent enfin en juillet 1926 une reconnaissance à la JOC[72].  Dans ce contexte, remarquons aussi la lettre d’approbation du Sillon catholique adressée par le cardinal Gasparri, secrétaire d’État, à l’abbé Schmitt, aumônier de ce mouvement le 19 décembre 1925[73], qui a peut-être aussi influencé la décision des évêques belges.

En France, quand la JOC passe les frontières en 1926-1927, nous ne nous étonnons plus de trouver qu’elle s’appuie sur le réseau sillonniste.  Au nord, l’abbé Paul Six avait déjà participé au premier congrès national de la JOC wallonne en avril 1925[74].  L’abbé Georges Guérin[75], qui fonde la JOC à Clichy, est lui-même ancien sillonniste.  Le père Jean Boulier[76], jésuite et sympathisant du Sillon, qui a aidé Cardijn et Tonnet en Belgique, coopérait dans son travail à l’Action populaire à Paris.  Par ailleurs, on peut se demander si le fait que la JOC de France peut maintenant trouver une place plus ou moins accueillante dans l’ACJF n’est pas en elle-même une évidence de l’ouverture ou la mutation opérée au sein de cette dernière à travers ses contacts et ses anciennes batailles avec le Sillon[77].  Enfin, quand Cardijn obtient la bénédiction pour la JOC française du cardinal Luçon à Reims lors d’un congrès d’oeuvres ouvrières en 1927, événement que Cardijn va appeler ” le baptême de Reims “[78], il est permis de penser que la vraie signification de cette bénédiction se trouve dans le fait qu’elle vient du vieil archevêque qui avait declenché, en 1909, le conflit qui serait fatal au Sillon[79].

Nous retrouvons encore une fois les traces du Sillon, quand la JOC wallonne organise – une pratique assez courante – son pélerinage à Rome en septembre 1929.  Cardijn et Tonnet prennent comme modèle les pélérinages du Sillon.  Dans une photo célèbre, nous voyons Cardijn harangant la foule des pélerins jocistes au Colisée[80], accomplissant ainsi le voeu exprimé par Marc Sangnier lors du pélerinage sillonniste en 1904[81].  En effet, c’est ainsi que Cardijn, Tonnet et bien d’autres voient la JOC : comme une sorte d’achèvement de l’oeuvre entamée par le Sillon.

Pour illustrer la manière selon laquelle la JOC tente d’achever cette oeuvre, revenons à comment Cardijn et la JOC, étant entrés dans l’ACJB, essayaient de donner un nouveau sens à l’Action catholique, qui devient maintenant ” l’Action catholique spécialisée “[82].  Souvenons-nous premièrement du père Louis Cousin et de sa conception d’une ” action essentiellement laïque ” et de sa vision de cette action des laïcs ” comme une collaboration à l’action du prêtre “.  Voyons maintenant l’insistance de Cardijn que ” la vie laïque, la vraie vie laïque familiale, professionnelle, sentimentale, etc. “, qui ” reste et restera toujours la matière première … de l’Action Catholique “, soit ” un complément nécessaire à l’apostolat sacerdotal “[83].  Pour Cardijn, comme pour Cousin, il s’agit de donner une signification apostolique à cette action laïque.  C’est dans ce sens, donc, que Cardijn, comme Pie XI lui-même, va comprendre la définition classique de ce concept comme ” la participation du laïcat à l’apostolat hiérarchique de l’Église “[84].  Il ne s’agit nullement d’une cléricalisation de ce rôle laïc, tout au contraire, prétend Cardijn, il s’agit d’une reconnaissance que ” l’apostolat laïc est essentiel à l’Église et appartient à l’essence même de l’Église “[85].  Pour Cardijn, donc, l’apostolat laïc, tel qu’il est compris par Louis Cousin, devient ” la matière fondamentale de l’Action Catholique “.

Deuxièmement, Cardijn, comme les sillonnistes, parle de la nécessité que cet apostolat soit organisé dans un mouvement où  l’autonomie de l’action des laïcs au sein de leur mouvement soit respectée.  Il propose même une solution au problème soulevé par le Sillon de comment rattacher un tel mouvement à l’Église.  Voici la proposition de Cardijn :  ” On distingue dans l’Action catholique une triple hiérarchie : 1  la  hiérarchie proprement dite : Pape, évêques, curé ; 2  la hiérarchie laïque, comprenant des chefs nationaux, fédéraux, locaux ; 3  la soudure entre ces deux hiérarchies composée des aumoniers d’Action Catholique également répartis en nationaux, fédéraux, locaux “[86].  Il s’agit donc de la tentative de Cardijn de répondre au problème d’articulation nationale et internationale d’un mouvement trans-territorial comme la JOC et comme fut le Sillon face à une hiérarchie ecclésiastique diocésaine.  Remarquons bien aussi comment ses propositions s’approchent fortement à une conception d’organisation que les canonistes appellent ” personnelle ” ou trans-territoriale[87].

Si Cardijn va avoir presqu’autant de mal que le Sillon pour défendre ces conceptions[88], il a néanmoins gagné à la cause un allié infatigable dans la personne de Pie XI.  Ce pape va déclarer à plusieurs reprises que la JOC était ” une forme authentique de l’Action catholique “, jusque dans une Lettre Autographe au Cardinal van Roey, archevêque de Malines, le 19 août 1935[89].  Rémarquons bien cette déclaration du pape qui fait de la JOC un modèle de l’Action catholique : c’est la JOC, avec ses méthodes, doctrines et modèles d’organisation formulées par Cardijn, et empruntées de celles de Cousin et Sangnier, qui devient maintenant une des références de l’Action catholique[90].

Mais cette canonisation de la JOC n’était pas sans danger.  Si la JOC Internationale a réussi à surfer la vague d’Action catholique des années 1930, pour s’implanter dans le monde entier, c’est au prix de bien des confusions par rapport à la nature de la JOC et de sa relation avec la hiérarchie ecclésiastique[91].  Ces difficultés dérivaient des ambiguités et des distortions dans l’usage et la compréhension du terme ” Action catholique “, et la JOC tel que Cardijn l’a conçue, risque d’être noyée dans l’écume des concepts venants d’autres conceptions d’Action catholique.  Même en Belgique, la JOC n’a pas échappé complètement à ce problème, qui semble être la racine d’un conflit au sein du bureau national entre l’abbé Robert Kothen[92], adjoint de Cardijn et Fernand Tonnet.  Quand il démissione à la suite de ce conflit, Tonnet écrit à Cardijn en lui reprochant d’avoir risqué de ” parquer le mouvement jociste sur un terrain exclusivement religieux et moral ” à l’encontre de sa méthode de formation active[93].  Le même problème va se répéter en beaucoup de pays dans lesquels la JOC naissait où la hiérarchie et même les aumôniers de la JOC ne percoivent pas le sens que la JOC veut donner à sa propre conception de l’Action catholique.

Le paradoxe de l’histoire est que, ayant commencé en dehors de (et même contre) l’Action catholique, la JOC risquait de devenir trop identifiée avec elle, ce qui à son tour entraîne l’ironie qu’en dehors de la JOC, beaucoup vont la critiquer pour prétendre à un monopole du terme !  Enfin, Pie XII en 1948[94] va donner à l’Action catholique un sens si large que la JOC craint de perdre encore une fois la spécificité qu’elle a toujours revendiquée.  C’est pour cette raison que Cardijn et la JOC abandonnent progressivement l’usage de ce terme après la deuxième guerre mondiale, le remplaçant par les termes ” l’apostolat des laïcs ” ou ” l’apostolat organisé des laïcs “[95].  L’historiographie de la JOC et de l’Action catholique n’a fait qu’ajouter à cet embrouillement des conceptions, surtout par un défaut sérieux dans la compréhension de la provenance des doctrines de Cardijn et de la JOC.  Nous voyons maintenant pourquoi Cardijn a voulu nous renvoyer à 1912 et à la ” préparation des débuts ” de la JOC : au Sillon et à la JOC avant l’Action catholique.

Il nous faut, donc, essayer de conclure.  Nous avons vu comment le Sillon a influencé presque chaque étape du développement de la JOC, de ses petites histoires jusqu’à ses grandes doctrines.  Il a fourni au mouvement de Cardijn sa conception d’apostolat laïc et sa méthodologie.  Il a formé toute une génération de prêtres et de laïcs qui ont preparé le terreau dans lequel elle était née.  Même dans ses erreurs, prétendues ou réelles, et ses problèmes, le Sillon a montré les chemins à éviter par la JOC.  Se heurtant à tant de questions épineuses, le Sillon a ouvert une brèche dans l’Église qui a rendu possible l’émergence de la JOC.  Et les sillonnistes eux-mêmes, Sangnier, du Roure, Amédée Guiard[96], Henri Colas[97] et d’autres encore, ont donné à la JOC des exemples-types de ces ” apôtres laïcs ” que la JOC a voulu former.  C’est pour toutes ces raisons que nous pouvons catégoriser le Sillon, suivant Weber, comme une condition de possibilité objective[98], qui a joué d’une importance décisive et déterminante dans l’émergence de la JOC.

Peut-on douter, donc, quand la JOC choisit le 25 août 1935, date du 25ème anniversaire de la condamnation du Sillon, pour ouvrir sa première Semaine d’Études Internationale, qu’il s’agit d’un hommage discret à son prédecesseur, et d’une revendication de son esprit[99] ?  Lors du Congrès de la JOC française en 1937 qui rassembla 80.000 jeunes au Parc des Princes, Mgr Gerlier[100] parlant à Marc Sangnier a confirmé ce rôle du Sillon dans la fondation de la JOC, en disant : ” Marc, soyez heureux ce soir, car vous êtes l’un des grands ouvriers de cette merveille que nous venons de voir[101] “.  Mais après la deuxième guerre mondiale, les générations de jocistes venant de tous les continents vont perdre le fil de leur endettement historique à l’egard du Sillon.  Il convient, donc, de se souvenir de la description de Cardijn du Sillon en 1921 comme ” le plus bel élan de foi et d’apostolat que la France ait connu depuis la révolution “[102].

Mais, cet élan prophétique du Sillon, que l’Église de France n’a pu ni accepter, ni contenir, a dû arrriver en Belgique pour que ” la rosée de Dieu la féconde et la multiplie. [103].  Aujourd’hui, voyant le Sillon caractérisé encore comme une version à la gauche de ce qu’était l’Action française à la droite, on peut se demander si on n’a toujours pas compris ce qu’il était vraiment.  N’a-t-on pas trop accepté jusqu’ici les interprétations du Sillon formulées par ses ennemis, et canonisées par le Saint-Siège dans la lettre de 25 août 1910, arguments que les sillonnistes n’ont jamais cessés de récuser, et que Cardijn lui-même a rejetés ?

C’est à cause de telles incompréhensions que Cardijn, semble-t-l, a délibérement minimisé après 1921 les références à l’héritage du Sillon.  C’était une question de protection de la JOC face à une hostilité énorme, y compris de la part des autorités religieuses.  Par ailleurs, ayant gagné la confiance de bien de ceux qui avaient opposé Sangnier et/ou le Sillon, l’aumônier d’une JOC en plein essor ne voulait pas risquer de la perdre.  Ainsi, il était litéralement trop dangereux d’afficher publiquement l’endettement de la JOC au Sillon comme Cardijn l’a fait lors de la visite de Marc Sangnier à Bruxelles.  C’est la wébérienne éthique de responsabilité de Cardijn à l’encontre de l’éthique de conviction incarné par Sangnier, qui ” a toujours poussé les conflits jusqu’à leurs ultimes conséquences “[104].

Enfin, ayant vu ce qu’était le Sillon et ayant compris sa conception de l’apostolat laïc, nous sommes maintenant dans une position d’apprécier ce que Cardijn et la JOC ont apporté à cette vision.  Certainement, Cardijn a voulu créer un mouvement « plus vrai, plus pauvre et plus ouvrier » que le Sillon, et aussi plus jeune[105].  Mais, sa plus grande contribution concerne le ” mode spécial de rapports ” avec l’Église revendiqué par le Sillon[106], pour encadrer cette collaboration du prêtre et du laïc prefigurée par Louis Cousin.  Dans la JOC, Cardijn a pu réaliser cette vision car, à l’encontre de l’ancienne génération de prêtres, il a compris le besoin et le pouvoir d’un apostolat autonome des laïcs dans le monde.  Il a su être cette ” soudure ” qui était si nécessaire entre les deux hiérarchies d’un mouvement laïque et de la hiérarchie de l’Église.  C’était, donc, précisément en tant que prêtre que Cardijn a pu compléter la vision articulées par les prophètes du Sillon.  Si ” la prophétie se heurte au sacerdoce “[107], c’est le prêtre, dit Weber, qui doit trouver une manière d’institutionaliser chaque prophétie, ce que Cardijn a réussi de faire dans la JOC.

Nous pouvons, donc, caractériser la filiation entre le Sillon et la JOC comme une sorte de relation dialectique entre une prophétie et son implémentation à un certain moment historique, une espèce de dialogue permanente de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité.  C’est une filiation qui soulève bien de questions d’une portée actuelle.  Par exemple, Cardijn, contrairement au Sillon et à sa propre expérience comme directeur d’oeuvres sociales, a accepté que la JOC s’abstienne totalement de la politique.  Est-ce qu’il s’agit là d’une différence de fond entre la conception du Sillon et de la JOC ?  Ou s’agit-il plutôt d’un compromis conjoncturel[108] ?  C’est à ce niveau qu’on a besoin à étudier de plus près le passage du Sillon à la JOC, un sujet qui a resté largement à l’ombre jusqu’aujourd’hui, grâce à la rupture entraînée par la lettre du Pie X.  Le résultat a été de couper la JOC et tous les héritiers du Sillon de leurs racines, même de leur originalité.

N’est-il, donc, pas temps de rouvrir ce dossier poussiéreux de la condamnation du Sillon, une décision qui reste comme une tâche sur le pontificat d’un grand pape ?  Benoît XV l’avait déjà promis de le faire en 1916[109].  Quatre-vingt ans plus tard, au-délà d’une question de justice historique, c’est une question qui concerne la compréhension de la vraie nature de la JOC et ses mouvements soeurs.  Car le Sillon lance toujours son défi à la JOC d’aller toujours plus loin, de devenir plus vrai, plus pauvre, plus ouvrier et plus jeune.  C’est pourquoi aussi longtemps que la JOC existe, l’oeuvre du Sillon ne sera pas achevée.

[1]              Le concept d’Action catholique existait avant 1900, et Pie X lui a déjà consacré une encyclique Il fermo proposito en 1905.  Cependant, comme nous allons le voir la JOC naissante ne s’est pas identifiée avec ce terme, qui appartient plutôt à la tendance dite des ” catholiques sociaux “.

[2]              Pour un redressement de cette tendance voir Lucie BRAGARD Marguerite FIÉVEZ et al., La Jeunesse Ouvrière Chrétienne Wallonie-Bruxelles 1912-1957, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1990, 2 tomes, 422p. (désormais BRAGARD).

[3]              L’année des premiers congrès nationaux des quatre mouvements (wallon et flamand, masculin et féminin) de la JOC belge.  Cf. BRAGARD, T. I, à p. 91 et s.

[4]              Le Cardinal Joseph CARDIJN (1882-1967), d’origine flamande, prêtre du diocèse de Malines.  Cf. Marc WALCKIERS, Joseph Cardyn, jusqu’avant la fondation de la JOC, Vicaire à Laeken, 1912-1918, directeur des oeuvres sociales de Bruxelles, 1915-1927, thèse de doctorat en philosophie et lettres, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1981, 465p. (désormais WALCKIERS 1981) ;  et Marguerite FIÉVEZ et Jacques MEERT, Cardijn, Éditions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1969, 241p. (désormais FIÉVEZ et MEERT). 

[5]              CARDIJN, Note sur l’histoire de la JOC, (majuscules dans l’originale), 12 octobre 1964, cité in BRAGARD, à T. I, p. 20.

[6]              Léon HARMEL (1829-1914) a joué un rôle très important dans le développement des méthodes de formation sociale.  Cf. Georges GUITTON, Léon Harmel 1829-1914, Spes, Paris, 2 tomes, 344p. et 437p.

[7]              WALCKIERS 1981 à p. 114 et s. (le Sillon), p. 119 (Harmel) et p. 141 (les syndicats anglais).  Cf. aussi FIÉVEZ et MEERT.

[8]              Marc SANGNIER (1873-1950) fonde au Collège Stanislas de Paris en 1893 la Crypte, un groupe d’étudiants, dont le Sillon est né en 1898.  Après la ” condamnation ” du Sillon en 1910, il se consacre à d’autres initiatives d’orientation démocratique ou pacifique, et pour la jeunesse.  Cf. Madeleine BARTHÉLEMY-MADAULE, Marc Sangnier 1873-1950, Seuil, Paris, 1973, 301p. (désormais BARTHÉLEMY-MADAULE).

[9]              Pour une bibliographie des publications du Sillon, voir Jeanne CARON, Le Sillon et la démocratie chrétienne, 1894-1910, Coll. Histoire des Mentalités, Plon, Paris, 1967, 798p. à p. 767. (désormais CARON).  Un bon nombre de ces publications se trouvent encore dans la bibliothèque de Joseph Cardijn et de Fernand Tonnet, conservée au Centre Général de Documentation, Université catholique de Louvain, Louvain-La-Neuve.  Bien d’autres ont probablement disparu pendant la première guerre mondiale.  Cf. Marguérite FIÉVEZ, La vie de Fernand Tonnet, Éd. Jocistes-Vie Ouvrière, Bruxelles-Genève-Paris-Montréal, 1945, 488p. à p. 65. 

[10]              Louis COUSIN (1855-1931), frère (non-ordonné) de la Société de Marie, attaché à la direction générale de la province, va devenir un conseiller très écouté au Sillon, où il joue un grand rôle dans le développement de la méthodologie et doctrine sillonniste et comme un théologien du mouvement, surtout par rapport à la question des relations entre le Sillon et l’Église.  Cf. Louis COUSIN, La Vie et doctrine du Sillon, Vitte, Lyon-Paris, 1906, 255p. 

[11]              Cf. Marc SANGNIER, Le Sillon, Esprit et Méthodes, Sillon, Paris, 1905, 202p ; et aussi l’ouvrage fondamental de Jeanne CARON.

[12]              Notons ici plus d’un écho des idées de Léon HARMEL.  Depuis des années, Harmel a voulu promouvoir la responsabilité des ouvriers au sein de son entreprise industrielle aussi bien que dans les groupes catholiques.  A partir de 1896, Harmel organisait chaque année une série de sessions de formation sociale, qui ont beaucoup contribuées à la création d’un réseau de démocrates chrétiens.  Sangnier et d’autres dirigeants sillonnistes ont participé à ces sessions.  Cf. CARON à p. 68.

[13]              Frédéric LE PLAY (1806-1882), sociologue, et un des fondateurs de la méthode d’observation sociale dite inductive.

[14]              COUSIN à p. 98.

[15]              COUSIN à p. 146.

[16]                Parmi d’autres trilogies inventées par Cardijn, qui sont clairement dérivées des sources sillonnistes, notons : ” vie, milieu et masse “, ” entre eux, par eux, pour eux ” (aussi Harmel), ” mystique, action, amour “, etc.

[17]              Louis COUSIN, in L’Éveil démocratique (Journal bimensuel et puis hebdomadaire du Sillon), T. I, No. 10, 18 février 1906.

[18]              Cousin préférait le terme ” laïque “, tandis qu’aujourd’hui on utilise ” laïc “.  Un problème majeur pour le Sillon et la source de bien de ses troubles était l’ambiguité de bien de ces termes et la difficulté de créer une vocabulaire adéquate à l’expression de leurs concepts.

[19]              COUSIN, ibidem.

[20]              SANGNIER, Le prêtre et le Sillon, in Le Sillon, 10 septembre 1906, p. 162-165, cité in CARON à p. 599.

[21]              COUSIN, ibidem.

[22]              Selon Sangnier, les sillonnistes ” n’ont jamais prétendu affranchir leur mouvement de ce contrôle religieux que l’Église se reconnait le droit même d’avoir sur les oeuvres laïques ou temporelles “, SANGNIER, ibidem.

[23]              COUSIN, ibidem.

[24]              Henry du ROURE (1883-1914), juriste et écrivain, secrétaire-général du Sillon de 1905-1910.  Cf. Léonard CONSTANT, Henry du Roure, Bloud et Gay, 1923, 237p.

[25]              Henry du ROURE (Jean DES COGNETS, Éd.), Lettres précédées d’un journal intime, Plon, Paris, 1923, 2 tomes à T. 2, p. 5.

[26]              CARON à p. 594.

[27]              Cf. CARDIJN, Laïcs en premières lignes, Éd. universitaires – Vie Ouvrière, Paris-Bruxelles, 1963, 200p. (désormais CARDIJN 1963).

[28]              ” Oh!, il va dire plus tard.  Il faudrait avoir sondé la capacité d’un coeur virginal de 20 ans pour comprendre l’explosion d’enthousiasme que de telles lectures peuvent provoquer dans l’âme d’un jeune séminariste! ”  CARDIJN, Discours d’accueil à Marc Sangnier, Bruxelles, 5 février 1921, Fonds Cardijn No. 130, Archives Générales du Royaume, Bruxelles (désormais CARDIJN 1921).

[29]              Marc Walckiers (WALCKIERS 1981) signale parmi les membres de ce cercle : son fondateur Floris PRIMS (1882-1954), Jean BELPAIRE (1881-1972) et Jean-François VAN DEN HEUVEL (1879-1940). Ces prêtres seront tous organisateurs d’oeuvres sociales et de publications d’orientation démocratique, qui suivront la ligne et les méthodes du Sillon.  Il semble que l’esprit militant du Sillon a correspondu particulièrement bien aux revendications linguistiques de ces séminaristes flamands.  En fait, il est évident en parcourant les publications de l’époque que le Sillon a joui d’une influence énorme en Belgique parmi les démocrates chrétiens, les séminaristes et jeunes prêtres, et dans les deux communautés linguistiques, flamandes et wallonnes.  Cette influence reste à documenter.  Mais on peut constater la croissance de l’influence de sa méthodologie en comparant la rubrique ” les cercles d’études ” dans les éditions successives de l’oeuvre du directeur spirituel de Cardijn, le canoniste et sociologue, le père Arthur VERMEESCH S.J. (1858-1936), Manuel Social et législation des oeuvres en Belgique, Louvain, (3ème éd.), 2 tomes, 1909.  Vermeesch, qui restera en contact avec Cardijn jusqu’à la fin de sa vie, va continuer à aider Cardijn quand il arrive à Rome après la guerre pour enseigner. 

[30]              Cardijn a participé en 1907 aux réunions du Sillon dans ces deux villes (Cf. CARDIJN 1921).  Les contacts et les amitiés que Cardijn feront avec les démocrates chrétiens, notamment l’abbé Paul SIX (1860-1936), et les sillonnistes du Nord de la France vont jouer d’une importance énorme dans l’avenir de la JOC.

[31]              En 1903, Paul TSCHOFFEN (1878-1961), qui a rencontré Marc Sangnier à une session de formation au Val-de-Bois, fonde le Sillon de Liège, patronné par l’historien et démocrate chrétien, Godefroid KURTH (1847-1916).  Cardijn a collaboré avec Tschoffen et il était un grand admirateur de Kurth.  Sur le Sillon de Liège, cf. Paul GÉRIN, Catholiques liégieois et question sociale (1833-1914), Études Sociales, Bruxelles, 1959, 582p. à p. 259. 

[32]              Mgr (plus tard le Cardinal) Désiré-Joseph MERCIER (1851-1926), renovateur du thomisme en Belgique, fondateur en 1893 de l’Institut Supérieur de Philosophie à l’Université catholique de Louvain et archevêque de Malines (qui inclut Bruxelles) en 1906.

[33]              CARDIJN, Lettre à un ami, le 30 juin 1906, citée in WALCKIERS 1981 à p. 72.

[34]              Rappelons qu’un des plus forts Sillons des provinces en France était celui du Nord, du diocèse de Cambrai, où le nouvel évêque, Mgr DELAMAIRE, était en conflit ouvert avec le Sillon dès 1906.  Cf. CARON à p. 604 et s.

[35]              CARDIJN, Lettre à un ami, s.l.n.d., citée in WALCKIERS 1981, à p. 104.

[36]              Rappelons le discours de Marc Sangnier dans son débat avec le socialiste Jules GUESDE (1845-1922) à Roubaix, à la frontière belge, le 9 mars 1905, dans lequel Sangnier a pris sa distance par rapport aux démocrates chrétiens.  Cf. CARON à p. 313 et s.

[37]              Il s’agissait d’une mesure corrective par le Cardinal qui voulait tempérer ” l’imprudence ” du jeune abbé.  Cf. WALCKIERS 1981 à p. 122 et s.

[38]              PIE X, Lettre aux Archevêques et évêques français, Notre charge apostolique, A.A.S. 1910, Vol. II, p. 607-633.

[39]              Rémarquons qu’on peut contester l’utilisation du mot ” condamnation ” pour décrire la décision de Pie X.  Cf. CARON à p. 593 et s. et BARTHÉLEMY-MADAULE à p. 178 et s. 

[40]              Certains commentateurs ont préféré le terme ” obéissance ” à celui de ” soumission ” pour caractériser l’attitude des sillonnistes.  Cf. Étienne BORNE, in L’Ame commune, No. 83, 1993.

[41]              Cf. BARTHÉLEMY-MADAULE à p. 200.  Sangnier va insister jusqu’à sa mort que ” le Sillon n’a pas achevé son oeuvre “.

[42]              Il n’est pas sans signification ici de se souvenir qu’il y avait au Saint-Siège une ligne de pensée qui voulait sauver la démocratie chrétienne, en sacrifiant Marc Sangnier.  Ceci montre que le Saint-Siège n’était pas totalement hostile à un projet proche de celui du Sillon, et qu’il y avait même l’espoir que quelqu’un viendrait qui referait une espèce de nouveau Sillon.  Cf. CARON à p. 635. et aussi Jean DESGRANGES, Carnets intimes, journal d’un conférencier populaire, La Palatine, Paris, 451p, à p. 44.  DESGRANGES (1874-1955), ancien aumônier du Sillon limousin, mais qui a fait scission avec le Sillon central, donne un récit très intéressant dans son journal intime de ses visites et contacts au Saint-Siège.  On voit que le futur Cardinal GASPARRI (1852-1934) est ” en parfaite communion d’idées avec nous “, c’est-à-dire avec Desgranges, qui pensait que le problème du Sillon était un problème de Sangnier.  Rémarquons aussi le jeune Mgr Eugéne PACELLI (1876-1958), le futur Pie XII, travaillant à la Section des Affaires Extraordinaires au Secrétariat d’État, ” très ouvert ” selon Desgranges, et qui a dû bien connaître le dossier du Sillon.  Ce jeune canoniste va publier en 1912 une monographie rétentissante, qui traite précisément d’un des plus grands problèmes du Sillon : son articulation en tant que mouvement trans-diocésain avec les structures diocésaines ou territoriales de l’Église.  En effet, le problème n’était pas nouveau : la même question se posait depuis des siècles par rapport aux congrégations religieuses.  Ainsi, le droit canon reconnaissait des congrégations du droit pontifical, articulées directement au Saint-Siège, aussi bien que des congrégations du droit diocésain, gouvernées par les évêques locaux.  Le Sillon, en effet, sans le dire, revendiquait un statut parallèle à celle d’une congrégation pontificale, tandis que les évêques français exigeaient un contrôle semblable à celui qu’ils exercaient sur les congrégations diocésaines.  Mais le droit canon, tel qu’il existait en 1910 n’envisageait rien de semblable aux congrégations pontificales pour les organisations et les associations.

              Pour solutionner ce problème, Pacelli proposait de recourir à un vieux concept du droit romain.  Le plus souvent, les lois sont territoriales dans leur application, c’est-à-dire elles lient les personnes dans une territoire bien définie.  Mais, le droit romain reconnaissait aussi des lois dont l’application était ” personnelle “, c’est-à-dire qui réglaient les personnes appartenant à une certaine classe même au-délà d’une territoire donnée.  Le droit romain utilisait ces lois personnelles, appelleés chirographa ou syngrapha, pour régler la situation de certaines personnes tels que les pélérins et les étrangers.  L’idée de Pacelli était que le droit canon pourrait utiliser de telles lois personnelles comme un moyen de régler la situation des membres des différentes associations ecclésiales en tant que membres de ces associations, sans nuire à la juridiction normale et territoriale des évêques locales.  Dans ce sens, l’idée de Pacelli répondait à une lacune dans le droit canon révélée par les problèmes du Sillon.  La monographie de Pacelli va faire sa réputation de canoniste, et elle est aussi à l’origine de ce que le Code de Droit Canon de 1983 va appeler une ” prelature personnelle “.  Cf. Eugène PACELLI, La Personnalité et la territorialité des lois particulièrement dans le droit canon, Scientia Catholica, Rome, (Éd. française 1945; Éd. originelle italienne 1912), 32p.

[43]              Victoire CAPPE (1886-1927), liégioise, fondatrice en 1907 du Syndicat de l’Aiguille et directrice nationale de oeuvres sociales féminines catholiques dès 1911.  Elle va, avec sa collaboratrice du côté flamand, Maria BAERS (1883-1959), jouer un rôle clé dans la fondation de la JOC féminine.

[44]              Victoire Cappe était formée à l’action sociale par l’abbé PAISSE, lui-même associé avec le Sillon de Liège et puis par le professeur Victor BRANTS (1856-1917), ancien professeur de Cardijn à Louvain. Cf. Evelyn EATON, The Belgian Leagues of Christian Working-Class Women, thèse doctorale en sciences sociales, Catholic University of America Press, Washington D.C., 1954, 250p. à p. 57.

[45]              Victoire CAPPE (Éd.), La Femme belge : Éducation et action sociales,  Bib. de la Revue Sociale Catholique, Louvain, 1913, 330p.

[46]              Fernand TONNET (1891-1945), fondateur-laïc et premier président de la JOC.  Tonnet admirait ” sans réserve ” le Sillon et lisait avidement toutes les publications sillonnistes.  Cf. Marguerite FIÉVEZ, op. cit., à p. 34.

[47]              Tonnet et l’abbé Georges ABRASSART (1883-1936) viennent de fonder un groupe de Jeunes Gardes, qui célèbrent la bénédiction de leurs drapeaux le 25 août 1912, deuxième anniversaire de la condamnation du Sillon.  Simple coïncidence des dates ?  Cf. Henri TONNET, Au berceau de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, Chez l’auteur, Bruxelles, 1961, 32p. à p. 10.  Notons que la Jeune Garde de Belgique était une création des démocrates chrétiens belges, pour protéger leurs politiciens.  Il est possible que Marc Sangnier s’est inspiré de la Jeune Garde belge en fondant la Jeune Garde du Sillon à la fin de 1901, quelques mois après sa visite à Liège en mars de cette année.

[48]              Eugène BEAUPIN (1877-19..), aumônier de la Jeune Garde du Sillon, et auteur de Les cercles d’études de jeunes filles, Brochure de l’Action Populaire, No. 91, Reims et de L’Éducation sociale et les Cercles d’Études, (3ème éd.) Bloud, Paris, 1911, 249p.

[49]              Edward MONTIER (1870-1954), juriste, pacifiste, et auteur d’une quarantaine de livres sur l’éducation sociale de la jeunesse, en particulier Les Essaims nouveaux, Plon, Paris, 1910, 339p.  Ayant critiqué de l’orientation politique du Sillon (Cf. son livre La Halte des Essaims Nouveaux ou 25 ans d’Apostolat réligieux, social, artistique, patriotique 1893-1919, Chez l’auteur, 1920, 299p. à p. 79.), il écrivait plus tard : ” Pour ma part, et plus je vais, plus je crois que Marc Sangnier est dans la vérité “.  Cf. Lettre à Fernand Tonnet, 25 février 1926, citée in Marc WALCKIERS, Sources inédites relatives aux débuts de la JOC 1919-1925, Nauwelaerts, Louvain-Paris, 1970, 213p. (désormais WALCKIERS 1970) à p. 181. 

[50]              L’archevêché de Malines inclut Bruxelles, Anvers et toute la région centrale et nord de la Belgique.

[51]              Cf. WALCKIERS 1981, p. 345 et s.

[52]              Cardijn lui-même participe au 2ème Congrès, 26-28 septembre 1922, à Vienne, où le sujet de la jeunesse figure sur l’ordre du jour.  Pie XI fait envoyer ses voeux pour ce congrès, qui travaille pour la réconciliation des nations, un objectif cher au pontife.  Cf. Les carnets d’inscription pour les Congrès Internationaux pour la Paix (Archives de l’Institut Marc Sangnier, Paris) et aussi BARTHÉLEMY-MADAULE, à p. 251.

[53]              Cf. La Jeunesse syndicaliste, bulletin du mouvement, qui renvoient fréquemment ses lecteurs aux publications des anciens sillonnistes (Archives de la JOC, Bruxelles).

[54]              CARDIJN, Lettre à Fernand Tonnet, 12 janvier 1920, in WALCKIERS 1970 à p. 13.

[55]              CARDIJN 1921.  A paraître dans L’Ame Commune, bulletin du Foyer Marc Sangnier, Paris.  Voir aussi quelques extraits de ce discours in WALCKIERS 1970 à p. 13.

[56]              Selon Sangnier : ” La démocratie est l’organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun “.  Cf. Marc SANGNIER, L’Esprit démocratique, Perrin, Paris, 1906 à p. 167.  Pour apprécier l’audace de Cardijn en la citant, rappelons que la lettre de Pie X avait explicitement condamné cette doctrine, seulement une décennie auparavant.  Cf. PIE X, op. cit. 

[57]              André LECOMTE, L’abbé Cardijn, fondateur de la JOC était des nôtres, L’Ame Commune, 1986, No. 53.

[58]              Pensons au cercle d’études de Cardijn au Grand Séminaire, dont plusieurs membres sont maintenant directeurs des oeuvres sociales.

[59]              L’Association catholique de la jeunesse belge, fondée en 1920 par l’abbé Abel BROHÉE (1880-1946) avec quelques jeunes laïcs, notamment Giovanni HOYOIS (18..-19..), son premier président.  Cf. Louis PICARD et Giovanni HOYOIS,  L’Association catholique de la jeunesse belge : ses principes, son histoire, ACJB, Louvain, 1924, 251p.

[60]              Cf. Abel BROHÉE, Note au Chanoine Douterlungne, Directeur des oeuvres sociales du diocèse de Tournai, février 1925, in WALCKIERS 1970 à p. 89-98.

[61]              Voir la critique sévère de l’ACJF et de l’Action Catholique par Marc SANGNIER, in L’Éveil Démocratique, 15 octobre 1905.

[62]              Rémarquons aussi que dans ce contexte la devise ” voir, juger, agir “, résumant la méthode dite ” inductive “, apparaît comme une riposte à la méthode ” déductive ” de ” piété, étude, action “, empruntée par l’ACJB à son ainée française.

[63]              Par exemple, le grand conservateur et politicien catholique, le comte Charles WOESTE (1837-1922), publie ses Oeuvres de Combat, chez Librairies Action Catholique et De Lannoy, Bruxelles, 1921, 841p.

[64]              Cf. PIE XI, Lettre Encyclique, Ubi arcano Dei, 23 décembre 1922, (1923) Documentation Catholique, T. IX à Col. 82.

[65]              Cardijn et Tonnet étaient évidemment impressionnés par l’acceptation et l’obéissance du Sillon à la décision de Pie X en 1910.  Cardijn a souvent prévu la possibilité du besoin d’une soumission parallèle de sa part.  Cf. CARDIJN, Lettre à Tonnet, 22 décembre 1919, citée in WALCKIERS 1970 à p. 4.

[66]              Ce n’est qu’en lisant des publications catholiques associées avec l’Action catholique, toute empreintes d’une pensée maurrassienne, qu’on commence à se rendre compte de la magnitude de l’acte d’abnégation que cette entrée à l’ACJB a dû demander à Cardijn et aux jeunes dirigeants de la JS.  Cf., par exemple, La Revue catholique des Idées et des Faits, un journal fondé par l’abbe VAN DEN HOUT en 1921, qui donne une place régulière à des articles louants Maurras, et à laquelle les dirigeants de l’ACJB sont des correspondants fréquents.

[67]              Cf. Correspondence entre l’abbé Brohée et Giovanni Hoyois.  Fonds Hoyois, No. 31, Archives du monde catholique (ARCA), Louvain-La-Neuve.

[68]              Cf. CARDIJN, Rencontre avec Pie XI, Octobre 1962, Fonds Cardijn, No. 13.  Cf. aussi FIÉVEZ et MEERT à p. 73 et BRAGARD à p. 94.  A l’époque, c’était assez courant et assez facile d’obtenir une telle audience, comme montre bien l’expérience du Sillon et de l’ACJF, dont les dirigeants se sont souvent rencontrés avec les papes Léon XIII, Pie X et Pie XI.

[69]              CARDIJN, Récit de l’audience, in La Jeunesse Ouvrière (nouveau journal de la JOC), le 5 avril 1925, cité in FIÉVEZ et MEERT à p. 75.

[70]              Il y a des raisons de croire ici que la mémoire institutionnelle au Saint-Siège du problème du Sillon a favorisé la réussite de Cardijn.  On a l’impression que sa visite a été bien preparée, que le pape s’est bien renseigné par rapport à son oeuvre, et ainsi que les mots du pape, qui reprendent la doctrine sillonniste du lien entre l’élite et la masse, ne repercutent pas simplement ceux de Cardijn.  Fiévez et Meert donnent crédit pour cette réussite au père Vermeesch, maintenant à Rome, et à Mgr VANNEUFVILLE, originaire du Nord de la France, et un ami du Sillon, qui a joué un rôle important dans la défense de ce dernier 15 ans auparavant.  Mgr Vanneufville, avec Mgr TIBERGHIEN, et Mgr GLORIEUX ont été envoyés à Rome par l’ancien évêque de Cambrai, Mgr SONNOIS, comme ses informateurs.   Cardijn, semble-t-il, s’appuie bien ici sur ses liens avec l’ancien Sillon du Nord.  Par ailleurs, on sait aussi qu’il y avait une certaine tentative au Saint-Siège autour de 1922 de réhabiliter Marc Sangnier, dont les voeux envoyés par Pie XI au Congrès de Paix sont l’écho (Cf. Note 52), et de le motiver à recommencer son travail d’éducation.  Cf. FIÉVEZ et MEERT à p. 73 ; CARON à p. 646 et 693 ; et BARTHÉLEMY-MADAULE à p. 236.

[71]              Cardinal MERCIER, Lettre à Cardijn, le 7 juin 1925, citée in WALCKIERS 1970 à p. 49.

[72]              Réunion des évêques belges, 26-17 juillet 1926, reconnaissant la JOC ” en tant que section affiliée à l’ACJB et ne désorganisant aucune oeuvre existante “, citée in Emmanuel GERARD, Église et mouvement ouvrier chrétien en Belgique.  Sources inédites relatives à la direction des oeuvres sociales (1916-1936), Nauwelaerts, Louvain-Bruxelles, 1990, 452p. à p. 286.

[73]              ” Puisque jusqu’ici vos travaux ont porté des fruits consolants, conformément aux saintes intentions qui inspirèrent la formation des Sillons catholiques, au lendemain de la Lettre de Pie X, datée du 25 août 1910, et puisque, d’autre part, saines sont vos méthodes et vos directives telles qu’elles sont exposées dans l’opuscule présenté au Saint-Siège sur le Sillon Catholique de Paris, il y a tout lieu d’espérer, comme le Saint-Père lui-même espère, avec une pleine confiance, que les résultats obtenus seront encore plus grands dans l’avenir et qu’ils contribueront toujours davantage à former une phalange plus nombreuse de jeunes gens voués à l’apostolat catholique et à la défense de l’Église, même dans l’ordre social, au milieu de la Société contemporaine qui a tant besoin aussi du zèle et de l’action infatigable de pieux et fervents laïcs catholiques ” in Louis COUSIN (Re-édition par le Sillon catholique), Catéchisme d’économie sociale et politique, Vitte, Lyon-Paris, 1933, 399p. à p. 399.  Cette lettre répond en quelque sorte à ” l’intention de parler ” de BENOIT XV, exprimée à Marc Sangnier en 1916, concernant la décision de Pie X :  ” N’importe quelle occasion sera bonne, disait le pape : une réunion où vous m’enverrez une adresse, un livre que vous me ferez parvenir “.  Cf. BARTHÉLEMY-MADAULE à p. 235.

[74]              Cf. BRAGARD à T. I, p. 95.

[75]              Georges GUÉRIN (1891-1968?), aumônier-fondateur de la JOC française.  Cf. Joseph DEBÈS et Émile POULAT, L’appel de la JOC, Cerf, 1986, 292p. à p. 15.

[76]              Jean BOULIER (1894-1980). Écrivant de son premier contact avec eux en 1922, Boulier disait : ” Sur le bureau de Tonnet, voisin de celui de Cardyn, je voyais avec étonnement une photographie de Marc Sangnier.  Tonnet puisait son inspiration dans les publications du Sillon.  Cela me parut un bon signe et nous fûmes vite amis “.  Cf. son autobiographie, J’étais un prêtre rouge, Éd. de l’Athanor, Paris, 1977, ???p. à p. 79.

[77]              Rappelons que Henri BAZIRE (1873-1919), président de l’ACJF de 1899-1905 et Jean LEROLLE (1873-1962), président de 1904-1909, étaient tous les deux anciens de la Crypte du Collège Stanislas.  Après la suppression du Sillon, bien de sillonnistes se sont entrés ou rentrés à l’ACJF, où ils continuaient de militer dans la ligne du Sillon.  Ceci semble être particulièrement vrai dans le Nord où Cardijn a noué les relations les plus proches.

[78]              DEBES et POULAT, op. cit., à p. 113.

[79]              Cf. CARON à p. 661; et aussi la lettre de Marc Sangnier au Cardinal Luçon, 18 février 1909, in Louis COUSIN, Le Sillon et les catholiques, Léthiellieux, Paris, (2ème éd.), 1909, 224p. à p. 211.

[80]              BRAGARD à T. I, p. 142-143.

[81]              ” Un seul de ces monuments (romains) nous remua jusqu’au fond de nous-mêmes, se souvenait le dirigeant sillonniste Gaston Lestrat : c’est le Colisée.  Marc Sangnier avait eu d’abord l’intention de nous y réunir, un soir, d’y prononcer un discours, mais la municipalité lui en avait refusé l’autorisation “. Cf. Gaston LESTRAT, Les beaux temps du Sillon, Bloud et Gay, Paris, 1926, 203p. à p. 171.

[82]              Cf. Pierre BAYART, L’Action Catholique Spécialisée, Desclée-Éd. de la Cité Chrétienne, Paris-Bruxelles, 1935, 202p.  Ce livre, très apprécié de Cardijn, donne un fondement théorique pour l’Action catholique spécialisée.  Son auteur est un ancien sillonniste de Lille, mais qui s’est séparé lors de la crise avec Mgr Delamaire.  Cf. CARON à p. 637.

[83]              CARDIJN, Le Laïcat ouvrier, Éd. Jocistes, Bruxelles, 1935, 16p. à p. 2-3.

[84]              Cf. PIE XI, Lettre au Cardinal Bertram, Quae Nobis, 12 novembre 1928, (1929) Documentation Catholique, T. XXI à Col. 391.

[85]              CARDIJN, op. cit., à p. 4.

[86]              CARDIJN, Compte rendu de la réunion des aumôniers généraux d’A.C. Bruxelles, cité in Vincent-M. POLLET, L’Action Catholique a la lumière de la théologie thomiste, Éd. Jocistes, Bruxelles, 1937, 84p. à p. 35.

[87]              Cf. PACELLI, op. cit.

[88]              Cardijn est combattu non seulement par les aumôniers de l’ACJB en Belgique, mais jusqu’au Secrétariat d’État où Mgr PIZZARDO, ancien aumônier de l’Action Catholique Italienne et directeur en 1938 d’un bureau international d’Action Catholique au Saint-Siège, le conteste sans cesse.

[89]              PIE XI, Lettre Autographe au Cardinal van Roey, in Semaine d’Études Internationales de la JOC, 25-29 août 1935, Bruxelles, Éd. Jocistes, Bruxelles, 1935, 375p. à p. 35-36.  Notons qu’une Lettre Autographe en droit canonique est l’équivalent d’un chirographa dont Pacelli a parlé dans sa monographie.  Quand il devient Secrétaire d’État, Pacelli utilise extensivement cette forme de régulation, une pratique qu’il continue après son élection comme le pape.  Il enverra trois lettres autographes à la JOC (1946, 1947 et 1949), qu’il adressera (sauf en 1947) à Cardijn lui-même.  Jean XXIII (1959) et Paul VI (1963, 1965 et 1966) vont continuer cette tradition.  La signification de ceci est que dans la conception thomiste de la loi soutenue par Pacelli, seulement une communauté parfaite est capable de recevoir ses propres lois.  Mais dans l’Église, les seules communautés parfaites sont celles qui comportent un élément de la hiérarchie ecclésiastique.  L’implication, donc, est clairement que tous les papes, Pie XI, Pie XII, Jean XIII et Paul VI considèrent la JOC comme étant une communauté parfaite personnelle au sein de l’Église ayant son propre élément hiérarchique dans la personne de ses aumôniers.  On sait aussi que Cardijn, comme Sangnier, a voulu trouver un statut original pour la JOC au sein de l’Église, et que Pie XI l’a appuyé dans ce projet.  Par ailleurs, Cardijn a activement recherché l’envoi de ces lettres pontificales à la JOC, qui indique une stratégie de sa part, ainsi qu’une certaine familiarité avec la monographie de Pacelli.  Il serait, donc, intéressant de savoir plus sur le rôle joué par le père Vermeesch, l’éminent canoniste, avec qui Cardijn a souvent discuté sa stratégie.  Dans ce sens, aussi, la nomination de Cardijn comme prélat par Pie XII (1956), et sa consécration comme archevêque et cardinal par Paul VI (1965), ne sont pas purement honorifiques, mais ces nominations peuvent être comprises comme des étapes de la création d’une hiérarchie non-territoriale ou personnelle propre à la JOC.  Autrement dit, on trouve dans la JOC tous les éléments de ce que le Code de Droit Canon 1983 (Canons 294-297) appelle une prélature personnelle.

[90]              Le pape ne dit pas que la JOC soit la seule référence de l’Action catholique ; mais l’importance de cette déclaration est que la JOC doit être jugée selon ses propres termes et concepts, et non pas par rapport aux autres conceptions d’Action catholique.

[91]              Pensons à tous les arguments autour de la notion du ” mandat “.  Cardijn récusait une conception d’Action catholique qui faisait de la confusion ou de la combinaison entre l’apostolat laïc et l’apostolat hiérarchique, pour lui le mandat était une espèce de reconnaissance officielle de l’Église de l’apostolat organisé des laïcs, une manière de reconnaître la participation des laïcs en tant que tels dans l’apostolat de l’Église.  Dans sa conception, le mandat n’avait rien à voir avec l’idée de l’octroi aux laïcs de certains pouvoirs sacerdotaux ou épiscopaux.

[92]              Robert KOTHEN (1900-1955), collaborateur de Cardijn des années 1930, et responsable pour la coordination de l’embryon de la JOC Internationale.

[93]              Fernand TONNET, Lettre à Cardijn, 27 juin 1936, in Fonds Tonnet, Archives de l’Éveché de Tournai, cité in BRAGARD à t. I, p. 200.

[94]              Cf. PIE XII, Constitution Apostolique Bis saeculari, 27 septembre 1948, in (1948) A.A.S. T. XL, p. 393-402 dans laquelle le pontife reprend une déclaration de Pie XI que l’Action catholique ” ne se cantonne pas dans un cercle fermé “.

[95]              Dans son livre preparé pour Vatican II, Laïcs en premières lignes, Cardijn n’utilise guère le terme, sauf pour distinguer sa propre conception d’Action catholique des autres.  Cf. CARDIJN 1963.

[96]              Amédée GUIARD (1872-1915), sillonniste, tué comme Henry du Roure pendant la guerre de 1914-1918, dont les biographies vont être des références trés importantes pour Fernand Tonnet.  Cf. Jean DES COGNETS, L’un d’eux, Amédée Guiard, Bloud et Gay, Paris, 1921, 205p. et aussi Léonard CONSTANT, op. cit.

[97]              Henri COLAS (1882-1970?), chansonnier du Sillon, ami de Tonnet et de Cardijn.

[98]              Dans le sens wébérien de ces termes.  Cf. Julien FREUND, Weber (Max) 1864-1920, in Encyclopaedia Universalis, Paris, 1968, Vol. 16, p. 373.

[99]              La JOC Internationale va choisir encore le 25 août comme date pour ouvrir son premier Conseil International à Rome en 1957, et cette date a toujours été célébrée comme le jour de la JOC Internationale.  Je n’ai trouvé aucune évidence directe que ce choix de date était une référence déliberée à la condamnation du Sillon, sauf le fait suggestif que le jeune Tonnet avait déjà choisi cette date pour la bénédiction des drapeaux de Jeunes Gardes en août 1912, date à laquelle il était déjà en contact avec Cardijn.  Cf. Note 47.

[100]              Le Cardinal Pierre GERLIER (18..-19..), archevêque de Lyon, et ancien président de l’ACJF de 1909-1913.

[101]              Georges MONTARON, in L’Ame commune, No. 42, 1983, cité in Jeanne CARON, Le Sillon et sa posterité, in Gérard CHOLVY, Mouvements de jeunesse chrétiens et juifs : Sociabilité juvénile dans un cadre européen 1799-1968, Coll. Histoire, Cerf, Paris, 1985, 432p. à p. 73.

[102]              CARDIJN 1921.

[103]              CARDIJN 1921.

[104]              CARON à p. 615.  Cf. aussi Julien FREUND, op. cit.

[105]              Ainsi, par exemple, tandis que le Sillon voulait être un mouvement de toutes les classes sociales, la JOC a voulu spécialiser par classe.  Il est possible, cependant, que le Sillon, qui avait des groupes ruraux, était déjà en voie de spécialisation, et la crise dite d’Hellencourt de 1905 était en quelque sorte aussi une manifestation d’une tentative dans la direction de la spécialisation.  Cf. CARON à p. 355 et s.

[106]              CARON à p. 621.

[107]              BARTHÉLEMY-MADAULE à p. 202, et cf. Julien FREUND, op. cit.

[108]              Cf. BRAGARD à T. I, à p. 199.

[109]              Cf. Note 72.